Extrait :

Au fil des ans, la littérature, saturée de couleur

locale, avait disparu sous le pittoresque et le colossal : c’était, à chaque page, le Déluge et l’Apocalypse,

des évasions, des naufrages, des lettres dérobées, du

poison, de l’encre sympathique, des orphelins reconnus princes, des vengeurs, des bossus.En 1856, un nouveau romancier s’avance, qui situe

l’action de son livre au cœur de la Normandie paysanne et bourgeoise. Il détaille l’histoire lamentable

d’une femme mal mariée que ses rêves mènent à l’adultère, à la ruine, au suicide. Passions mineures, décors

banals, esprits étriqués, destins blêmes : le style, même,

est un savant brouet de mots fins et gris, où l’adverbe

joue le rôle que tenaient naguère les coups de théâtre.Or, sur le fond des bigarrures, c’est ce roman-là,

terne, qui paraît criard, plongeant ses premiers lecteurs dans la stupeur, excitant le scandale, ranimant

la censure. Il est d’ailleurs à peine imprimé que la

justice se met en branle et intente à l’auteur un procès

pour « délits d’outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ». On vend quinze mille

exemplaires en deux mois.