Extrait :
hurlements enroués qui ameutent des spectateurs pour la Grève, chaque
fois, la douloureuse idée lui revenait, s’emparait de lui, lui emplissait la tête
de gendarmes, de bourreaux et de foule, lui expliquait heure par heure les
dernières souffrances du misérable agonisant, – en ce moment on le
confesse, en ce moment on lui coupe les cheveux, en ce moment on lui lie
les mains, – le sommait, lui pauvre poëte, de dire tout cela à la société, qui
fait ses affaires pendant que cette chose monstrueuse s’accomplit, le
pressait, le poussait, le secouait, lui arrachait ses vers de l’esprit, s’il était en
train d’en faire, et les tuait à peine ébauchés, barrait tous ses travaux, se
mettait en travers de tout, l’investissait, l’obsédait, l’assiégeait. C’était un
supplice, un supplice qui commençait avec le jour, et qui durait, comme
celui du misérable qu’on torturait au même moment, jusqu’à quatre heures.
Alors seulement, une fois le ponens caput expiravit crié par la voix sinistre
de l’horloge, l’auteur respirait et retrouvait quelque liberté d’esprit. Un jour
enfin, c’était, à ce qu’il croit, le lendemain de l’exécution d’Ulbach, il se
mit à écrire ce livre. Depuis lors il a été soulagé. Quand un de ces crimes
publics, qu’on nomme exécutions judiciaires, a été commis, sa conscience
lui a dit qu’il n’en était plus solidaire; et il n’a plus senti à son front cette
goutte de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la
communauté sociale.
Toutefois, cela ne suffit pas. Se laver les mains est bien, empêcher le
sang de couler serait mieux.
Format : pdf
Taille : 2 Mb
Langue : français
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