Extrait :

La conquête de sa propre identité fut une épreuve pour le jeune Thomas Sankara. Si les féodaux mossis, aristocrates du royaume et maîtres de la terre, regardaient de travers ce fils de Peul, les Peuls eux-mêmes ne l’acceptaient pas comme un des leurs. Un de ses amis intimes, camarade de combat, Moussa Diallo, chef du régiment stationné à Bobo-Dioulasso, m’a raconté en riant cet incident révélateur : lors d’une cérémonie d’inauguration d’un barrage d’irrigation dans la région de Dori, Sankara marchait en tête du cortège officiel, suivi de Diallo. Une délégation de chefs peuls se présenta le soir même au gîte de Diallo. Ce dernier est un Peul pur sang. Les chefs peuls lui dirent sur un ton de reproche véhément : “Moussa, comment peux-tu marcher derrière ce type qui n’est même pas un vrai Peul ?”

Tirailleur voltaïque, combattant “volontaire” de l’empire français, le père de Thomas Sankara connut le parcours classique du soldat africain au service de la France. Un parcours profondément ambigu : fidèle au drapeau tricolore, convaincu de la supériorité de l’homme blanc (ou, du moins, acceptant comme un fait inéluctable la soumission à la violence blanche), il servit la France en Afrique, en Europe et en Asie, réprimant ses frères et reproduisant l’ordre des seigneurs sur les trois continents. Démobilisé, il devint, comme des milliers d’autres compagnons d’infortune, un de ces prolétaires urbains vivant d’expédients et de petits travaux occasionnels.

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