Extrait :

Te souviens-tu de notre joyeuse complicité ? Je lui dois tant. Et les

heures que nous avons partagées comptent parmi les plus belles de mon

existence. Je me levais avec toi, et jusqu’au cœur de la nuit tu demeurais à

mes côtés. Ensemble, nous avons parcouru les siècles et exploré mille

contrées. Te rappelles-tu mon enthousiasme lorsque tu m’as parlé pour la

première fois d’Héraclite et de son panta rhei : « Tout coule », « Un homme

ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve »…? Passionné, je t’ai

suivie dans cet univers peuplé d’Anaximandre, Zénon, Socrate, Platon,

Aristote, saint Augustin, Abélard, Montaigne, Pascal, Leibniz, Hume, Kant,

Nietzsche et de cent autres esprits que pour mon bonheur tu convoquais.

Grâce à Épicure, tu m’as incité à savourer la vie avec une sobre

gourmandise. Avec Épictète, tu m’as appris à remettre chaque jour en

question ce qui dépendait réellement de moi. Et j’ai pu en sa compagnie

m’orienter vers le progrès. Puis, tandis que les railleries me blessaient, tu

m’as présenté Diogène le Cynique. Je nous revois aussi parcourant Le Gai

Savoir pour y trouver un appel à maintenir le cap dans la souffrance.

Justement, quand les épreuves se sont atténuées, j’ai commencé à te tourner

le dos et nous nous sommes éloignés. Le monde que tu as ouvert m’a grisé, et

j’ai fini par lâcher la main de mon guide. Aujourd’hui, je ne suis plus dans la

solitude où tu m’as rencontré. Je peux même dire que tout va bien

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