Extrait :
Derrière le four de terre, dans la cuisine d’une petite ferme au toit de chaume,
la mère, assise sur un tabouret de bambou, alimentait d’herbes le trou du foyer
où le feu brûlait sous un chaudron de fer. La flamme venait de s’élever et la
mère agitait tantôt une brindille ou une poignée de feuilles, puis enfournait de
nouveau quelques herbes sèches coupées par elle, l’automne dernier, au flanc de
la montagne. Une vieille femme ratatinée s’était traînée dans un coin de la
cuisine, le plus près possible du feu. Elle y demeurait enveloppée d’une épaisse
casaque ouatée en cotonnade rouge vif, dont les bords paraissaient sous la veste
bleue rapiécée. Elle était à demi aveugle. Une pénible maladie d’yeux avait
presque scellé ses paupières ; mais elle voyait encore beaucoup de choses à
travers les petites fentes demeurées ouvertes, et elle guettait l’éclat des flammes
qui bondissaient et s’allumaient sous les doigts vigoureux et habiles de la mère.
La vieille disait avec un sifflement doux qui passait entre ses gencives affaissées
et sans dents : « Faites attention, lorsque vous garnissez le feu. Nous n’avons que
cette seule charretée – ou bien est-ce deux ? – il faudra attendre longtemps avant
que l’herbe soit bonne à couper, et me voilà comme je suis, sans doute incapable
de jamais en ramasser un brin – une vieille bonne à rien, qui devrait mourir. »
Elle répétait ces derniers mots plusieurs fois par jour et attendait, chaque fois, la
réponse que lui fit sa belle-fille :
« Ne dites pas cela, vieille mère ! Que ferions-nous si vous n’étiez pas là pour
surveiller la porte, quand nous sommes aux champs, et empêcher les petits de
tomber dans la mare ? »
Format : pdf
Taille : 1 Mb
Langue : français
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