Extrait :
L’Art de la guerre de Machiavel ne paraît pas aussi machiavélien que ses autres grands ouvrages en prose. Le Prince, Les Discours sur la première décade de Tite-Live et les Histoires florentines, publiés pour la première fois en 1532 après la mort de l’auteur en 1527, sont émaillés de propos méchants. Mordants ou aimables, tous sont mémorables. Ainsi, à titre d’exemples : « Les hommes oublient plus vite la mort de leur père que la perte de leur patrimoine » (P., 17) ; « Quand l’acte accuse, le résultat excuse » (D., I, 9) ; « Les serviteurs fidèles sont toujours des serviteurs et les hommes bons sont toujours pauvres » (HF., III, 13)1. Mais on chercherait en vain des propos de cette trempe dans L’Art de la guerre publié .
On trouve, bien sûr, dans le livre VI, une liste de trente-trois stratagèmes auxquels un général est susceptible de recourir (VI, 220-227). Elle est complétée, dans le livre VII, par une liste de pièges qu’une ville assiégée peut attendre de la part des assiégeants (VII, 240-249). Mais ces passages « machiavéliques » de L’Art de la guerre sont relativement modérés et ne distillent pas le venin dont Machiavel est capable quand il le veut. Par ailleurs, le contexte guerrier excuse leur caractère répréhensible et, ainsi, le limite. A l’évidence, les circonstances propres à la guerre contraignent les hommes bons à commettre des actes mauvais dont ils ne concevraient pas l’idée en temps de paix. Machiavel ne cherche pas à étendre les pratiques utiles mais blâmables du champ de bataille à la politique des temps de paix comme il le fait dans ses autres œuvres. Loin d’être présentées comme des armes destinées à quiconque est aux aguets, ces pratiques semblent demeurer des nécessités déplorables à l’usage de ceux qui doivent combattre.