Extrait :

A la chute du mur de Berlin, un vent d’espoir avait soufflé sur le monde. La fin de la confrontation entre l’Occident et l’Union soviétique avait levé la menace d’un cataclysme nucléaire qui était suspendue au-dessus de nos têtes depuis une quarantaine d’années ; la démocratie allait désormais se répandre de proche en proche, croyions-nous, jusqu’à couvrir l’ensemble de la planète ; les barrières entre les diverses contrées du globe allaient s’ouvrir, et la circulation des hommes, des marchandises, des images et des idées allait se développer sans entraves, inaugurant une ère de progrès et de prospérité. Sur chacun de ces fronts, il y eut, au début, quelques avancées remarquables. Mais plus on avançait, plus on était déboussolé.

Un exemple emblématique, à cet égard, est celui de l’Union européenne. Pour elle, la désintégration du bloc soviétique fut un triomphe. Entre les deux voies que l’on proposait aux peuples du continent, l’une s’était révélée bouchée, tandis que l’autre s’ouvrait jusqu’à l’horizon. Les anciens pays de l’Est sont tous venus frapper à la porte de l’Union ; ceux qui n’y ont pas été accueillis en rêvent encore.

Cependant, au moment même où elle triomphait, et alors que tant de peuples s’avançaient vers elle, fascinés, éblouis, comme si elle était le paradis sur terre, l’Europe a perdu ses repères. Qui devrait-elle rassembler encore, et dans quel but ? Qui devrait-elle exclure, et pour quelle raison ? Aujourd’hui plus que par le passé, elle s’interroge sur son identité, ses frontières, ses institutions futures, sa place dans le monde, sans être sûre des réponses.